4/4/2022

Le terme « aidant », imparfait…mais nécessaire

Depuis quelques années, nous avons vu apparaître ce terme « aidant » pour désigner « cet homme ou cette femme, non professionnel, qui, par défaut ou par choix, vient en aide à une personne dépendante de son entourage », selon la Charte européenne de l’aidant familial. Il est tantôt associé au mot « proche » pour « proche aidant », ou à d’autres mots comme « familial », « naturel »,« non professionnel » ou encore « salarié » pour « salarié aidant ». C’est dire que ce mot, à lui tout seul, semble imparfait pour exprimer toute la complexité et la diversité de ce qu’est un "aidant".

D’ailleurs, je ne me retrouve toujours pas dans ce mot. Pour avoir longtemps accompagné mon père, atteint de la maladie d’Alzheimer, ce n’est que très tardivement que j’ai compris que j’étais « aidant ».

La reconnaissance sociale, dans la sphère publique, de l’investissement personnel qu’un homme ou une femme a pour une personne de son entourage en grande difficulté dans le cadre des actes de la vie quotidienne, et des difficultés inhérentes avec lesquelles il ou elle doit jongler, est incontestablement une bonne chose. Elle permet de soutenir la personne qui aide tout en préservant un équilibre avec sa vie privée et personnelle, et de délimiter quels actes doivent être pris en charge par des professionnels. . Mais, pour moi, le mot « aidant » conduit de fait à réduire la personne qui accompagne, à sa simple fonction d’aide.

D’ailleurs la définition « d’aider »selon le Larousse est « apporter son concours à quelqu’un, joindre ses efforts aux siens dans ce qu’il fait, lui être utile, faciliter son action, en parlant de quelque chose », avec comme synonymes « assister »,« épauler », « seconder », « soutenir ».

C’est ce que fait tous les jours ou plus ponctuellement un « aidant ». Mais où se trouve l’amour dans ce mot ? Où se trouve la notion de protection d’une personne fragilisée par une maladie, un handicap, ou simplement par la perte d’autonomie du fait de la vieillesse ? Où se trouve la notion de don de soi ?  « Aidant » est une traduction imparfaite de « carer » ou de « caregiver » en anglais. « Care »est « le fait de prendre soin de quelqu’un ou de quelque chose en lui prodiguant ce dont il a besoin pour sa santé et sa protection », selon le dictionnaire Oxford. En psychiatrie, on ne parle pas d’aidance, on parle de caregiving…les psychiatres n’ont pas réussi à traduire simplement cette notion qui englobe à la fois l’aide matérielle, émotionnelle, spirituelle, affective, médicale que l’on peut apporter lorsqu’on accompagne un proche fragilisé.

Je n’aidais pas mon père, je le protégeais, je lui donnais de l’attention, de l’affection, je me souciais de sa santé en lui rappelant de prendre ses médicaments, je coordonnais les « professionnels de santé », je prenais des décisions pour sa santé, je m’occupais de sa toilette, lui donnais à manger, lui faisais le ménage, et bien d’autres choses encore. Son bien-être, sa survie, passait avant bien des choses. Accompagner une personne fragile implique de faire des choix, souvent clivants, en termes de travail,  de vie de famille et sociale et peut avoir des conséquences non négligeables à la fois sur soi et sur l’entourage.

Et tout cela devrait être résumé par un seul mot « aider » ? Comme le disait si bien Edmond Rostan « c’est un peu court, jeune homme ». La langue française, si riche, ne permet pas, dans ce cas, de faire des raccourcis aussi signifiants que la langue anglaise. Pas étonnant que peu « d’aidants » se retrouvent dans ce mot…mais on est content que 41% de la population française connaisse le terme. Savoir ce qu’il y a derrière, j’en doute.

Mon propos n’est pas de disqualifier ce terme « d’aidant ». Il a le mérite d’exister pour faire prendre conscience de la situation des millions de personnes qui accompagnent un proche fragile quotidiennement ou ponctuellement. Il permet d’apporter une aide sociale concrète. Je ne voudrais simplement pas qu’on oublie toute l’humanité qu’il y a derrière ce mot qui se judiciarise.